mercredi 30 novembre 2011

Julien Gracq lu par Patrick Modiano

Julien Gracq
Patrick Modiano a rendu à plusieurs occasions hommage à Julien Gracq, l’un des écrivains français qui l’ont le plus marqué.

Il a ainsi participé à Qui vive ? Autour de Julien Gracq, un recueil en hommage à l’écrivain Julien Gracq paru en 1989 chez son éditeur historique, José Corti (316 pages).
L’éditeur présente ainsi son projet :
« Pour rendre cet hommage, nous n’avons fait appel qu’aux écrivains ; il n’a pas été demandé leur avis à ceux qui s’efforcent de monnayer la littérature. (…) Pas de discours (…) et pas de commémoration. Rien qui puisse s’apparenter, en fin de compte, à un hommage, un livre froid, un morceau de marbre. On lira plutôt dans ces pages une émotion, une reconnaissance dans une langue qui n’est pas étrangère à celle qui les a suscitées ».
Parmi les autres écrivains qui signent des textes figurent Maurice Blanchot, André Hardellet, Georges Perros, Pascal Quignard, etc.

Dans son texte de 3 pages, Patrick Modiano explique que « les livres de Julien Gracq sont des livres de chevet, que l’on peut relire sans cesse en les ouvrant au hasard. Je sais d’expérience que dans les périodes de tristesse et de solitude la lecture de Gracq apporte un réconfort, un apaisement et une exaltation. »

Plus loin, il s’attarde sur l’ « attention profonde » de Gracq « aux paysages et aux topographies », en particulier aux lisières, aux banlieues, aux « zones mystérieuses où le tissu d’une ville se désagrège. »

Ce texte a été republié, sous le titre "Autour de Julien Gracq", dans le "Cahier de L'Herne" consacré à Modiano (janvier 2012). 


Pour lire quelques extraits de Qui vive ?

En 2010, Patrick Modiano s’est fendu d’un nouveau texte sur Julien Gracq dans le cadre de l’hommage rendu par la "Nouvelle revue française" à l’auteur des Lettrines.
Dans cet article, Modiano raconte notamment qu’il aurait voulu être l’élève de Louis Poirier, le véritable nom de Gracq. Il présente ce dernier comme son « maître à lire », parle de « son doigté et sa sensibilité d’acupuncteur », et des « clairières urbaines » où il se promène souvent « en rêve avec lui ».
("La NRF" n°594, juin 2010, 19 euros).

Né le 27 juillet 1910 à Saint Florent-le-Vieil sur les bords de la Loire, entre Nantes et Angers, Louis Poirier, plus connu sous le nom de Julien Gracq, est l’auteur de près d’une vingtaine de livres, dont Au château d’Argol, La Littérature à l’estomac, Un beau ténébreux, La Forme d’une ville, Le Rivage des Syrtes (pour lequel il avait refusé le prix Goncourt en 1951), Lettrines, En lisant en écrivant.
Il est mort à Angers le 22 décembre 2007, à l’âge de 97 ans.




Lettre à Thierry Laurent

Une très intéressante lettre de Patrick Modiano à Thierry Laurent, datée du 12 mars 1996, a été publiée en préface au livre de celui-ci intitulé L’œuvre de Patrick Modiano : une autofiction (Presses universitaires de Lyon, 1997).

La première page de la lettre manuscrite est également reproduite en fac-simile.

Thierry Laurent est l’auteur d’une thèse sur "L’autofiction dans les romans de Patrick Modiano", soutenue en février 1995 à l’Université de Paris IV-La Sorbonne. L’œuvre de Patrick Modiano: une autofiction est le livre qui en est issu.
Avant publication, Thierry Laurent a transmis son manuscrit à Patrick Modiano, qui lui a répondu par une longue lettre.

Dans ce texte de mars 1996, Modiano commence par féliciter l’universitaire : « La lecture de votre étude m’a beaucoup ému et troublé. Vous faîtes preuve d’une telle finesse et d’une telle sensibilité –et aussi d’une telle clarté dans l’expression- que désormais ce texte compte beaucoup pour moi et que je suis vraiment heureux que vous vous soyez intéressé à mon "cas"… »
Puis il revient sur quelques « points de détail » soulevés par Thierry Laurent, et sur lesquels il souhaite apporter des correctifs ou des commentaires. Il évoque ainsi sa mère, son enrôlement forcé dans l’armée, le personnage de Georges Rollner, Corinne Luchaire, Lucien Rebatet, Drieu et Brasillach, Paul Morand, Céline, et Maurice Sachs.


Au pays des étoiles, par Patrick Modiano


"Au pays des étoiles" est un texte court de Patrick Modiano, publié dans "Le Nouvel Observateur", n°2040, 11-17 décembre 2003, pp. 126-127.

Ce texte est une présentation de l’album Mes stars, de Willy Rizzo et Jean-Pierre de Lucovich, publié au même moment chez Filipacchi. Il s’agit de photographies de stars comme Marlene Dietrich ou Picasso prises dans les années 1950 par Willy Rizzo, qui travaillait alors pour "Paris-Match", accompagnées d’un texte de Jean-Pierre de Lucovich "qui a recueilli les souvenirs de son ami".

mardi 29 novembre 2011

Lacombe Lucien, un scénario cosigné Malle-Modiano

L'édition originale du scénario

Le scénario écrit par Louis Malle et Patrick Modiano pour le film de Louis Malle Lacombe Lucien a été publié en février 1974 par les éditions Gallimard (collection blanche, 144 pages).
Ce texte correspond à un état intermédiaire du film, le manuscrit ayant été figé avant la fin du montage.

Ce scénario a été republié en novembre 2008 dans la collect
ion de poche de Gallimard FolioPlus classiques (224 pages).
En plus du texte intégral du scénario, cette édition comprend un dossier réuni par Olivier Rocheteau, agrégé de lettres modernes, incluant deux courtes biographies de Louis Malle et Patrick Modiano, une présentation du contexte (la remise en cause des mythes réparateurs de la seconde guerre mondiale), et une histoire de la construction du scénario.
Le livre propose aussi une « lecture d'image » par Olivier Tomasini, architecte et licencié de philosophie, qui oppose l’ « authenticité » de Lacombe Lucien au caractère « artificiel » d’une photographie prise par André Zucca au jardin du Luxembourg en 1942 (celle reproduite sur la couverture du livre). Ce que ne mentionne pas cette analyse picturale, c’est qu’André Zucca est justement le père de Pierre Zucca, qui fut le photographe de plateau de 
Lacombe Lucien avant de devenir réalisateur.

Présentation par l’éditeur :
« En juin 1944, dans le Sud-Ouest de la France, un jeune paysan de dix-huit ans va successivement partager la vie d'une bande d'auxiliaires français de la Gestapo et ensuite la bizarre vie de famille d'un tailleur juif parisien. Plus qu'un tableau de la France sous l'Occupation, c'est l'histoire d'une jeune garçon qui, avec son amoralité candide et son appétit de vivre, ignorant toute idéologie, pourrait être un jeune homme d'aujourd'hui. »

A lire aussi
La restauration du script de Lacombe Lucien, par Bertrand Keraël (sur le site de la Bifi).

Un extrait du script

L'édition de poche du scénario

Lacombe, Lucien by Vincent Canby


Article publié par le "New York Times" le 30 septembre 1974

Lacombe, Lucien, the title of Louis Malle's fine, uncompromising new film, is a statistic, a name on a list, someone unknown, without identity. Which is pretty much the way Lucien Lacombe, aged seventeen, sees himself in June 1944.

Lucien (Pierre Blaise) is a strong, square-jawed, none-too-bright country boy living in southwest France during the Nazi occupation. He scrubs floors in the hospital of a small provincial city and makes occasional visits to his home, a farm now run by the landlord who has become his mother's lover while his father is a prisoner of war.

Lucien is a hunter, usually by necessity and now and then for sport. He shoots rabbits and wrings the necks of chickens, which are food for the dinner table, but sometimes he can't resist going after a yellow warbler with his slingshot. The bird means nothing to him. Proving the excellence of his aim does.

In Lacombe, Lucien, Mr. Malle asks us to contemplate Lucien as he chooses, it seems accidentally, his course toward destruction. After being turned down for membership in the Underground in his native village because he's too young, Lucien more or less slips into total collaboration with the French arm of the German police, the only club that will accept him, at just that point in history when it's apparent to even the densest minds that the Germans are beaten.

The film, which was shown at Alice Tully Hall on Saturday and Sunday evenings, will open in a theater here in mid-October.
Lacombe, Lucien is Mr. Malle's toughest, most rueful, least sentimental film. Like the extraordinary Marcel Ophuls documentary, The Sorrow and the Pity, the film refuses to identify heroes and villains with certainty. That, Mr. Malle seems to say, is to oversimplify issues and to underrate the complexity of the human experience.

Mr. Malle is adamant on these points. It's very difficult for anyone of my (World War II) generation to understand a collaborationist, which the director-writer underscores by allowing Lucien scarcely any saving graces. When hunting rabbits, he has the impassive face of a killer. Once taken into the police force, he becomes as impossibly arrogant as only the ignorant can be. He coolly witnesses torture procedures as if the system had nothing to do with him.

Instinctively, however, he finds himself attracted to the household of a once-famous, rich Paris tailor, an aristocratic Jew named Albert Horn (Holger Lowenadler), who is in hiding with his ancient mother and pretty daughter, France (Aurore Clément), in Lucien's town.

Armed with a machine gun, his official police passes, and gifts such as confiscated champagne, as well as with a monumental insensitivity, Lucien invites himself into the lives of these refugees. Lucien bullies them, makes a fool of himself, and suddenly falls in love with France.

The difficulty of the task that Mr. Malle has set for himself by focusing on Lucien is manifest in two magnificent scenes that are the highlights of the film. In one, Mr. Horn turns his elegant, exhausted eyes on Lucien and warns that he doesn't need Lucien to make him appreciate his daughter. "We're both fragile," he says. In the other scene, France clings to Lucien, who doesn't come up to her instep in any way, and damns the fact of being a Jew. Her degradation is complete.

A more sentimental director would, I'm sure, have made this film the story of the Horns. They are marvelous, gallant creatures, and both Mr. Lowenadler and Miss Clément are superb.

By fixing the sights of the film on Lucien, Mr. Malle and Patrick Modiano, who worked with him on the screenplay, force us to considerations of more agonizing import. We never know how Lucien got that way, only that the times made possible his short, disastrous season in the sun. With the liberation, Lucien once again becomes a statistic.
Lacombe, Lucien is easily Mr. Malle's most ambitious, most provocative film, and if it is not as immediately affecting as The Fire Within or even the comic Murmur of the Heart, it's because—to make his point—he has centered it on a character who must remain forever mysterious, forever beyond our sympathy.

LACOMBE, LUCIEN (MOVIE)
Produced and directed by Louis Malle; written (in French, with English subtitles) by Mr. Malle and Patrick Modiano; director of photography, Tonino Delli Colli; edited by Suzanne Baron; music by Django Reinhardt, Andre Claveau, and Irene de Trebert; art designer, Ghislain Uhry; released by Twentieth Century Fox. Running time: 141 minutes

Source : New York Times

Lacombe Lucien, un film de Louis Malle coécrit par Patrick Modiano




Lacombe Lucien est un film français de Louis Malle, sorti en 1974.

Scénario, dialogues et adaptation : Patrick Modiano et Louis Malle.

Directeur de production : Paul Maigret
Assistants réalisateurs : Marc Grunebaum (Modiano lui dédicacera Dimanches d’août quelques années plus tard), Jean-Francois Dion.
Avec Pierre Blaise, Aurore Clément, Holger Lowenadler, Thérèse Giehse, etc.
Durée : 2h18.
Sortie nationale en France : 30 janvier 1974.

Prix Mélies 1974.
British Academy 1974, meilleur film de l’année.
Nomination aux Oscars 1974 pour le meilleur film étranger.

Le scénario du film est paru en 1974 chez Gallimard.

L’argument 
« Juin 1944. Lucien Lacombe, jeune paysan du Sud-Ouest travaillant à la ville, retourne pour quelques jours chez ses parents. Il rencontre son instituteur, devenu résistant, à qui il confie son désir d’entrer dans le maquis. Il essuie un refus. De retour en ville et par un étrange concours de circonstances, il entre chez les auxiliaires français de la police allemande. Il rejette ses origines et ses parents pour mener la belle vie. Il souhaite même séduire une jeune fille juive qu’il terrorise. »

En 2005, Patrick Modiano a longuement évoqué sur son travail avec Louis Malle pour ce film à l’occasion d’une intervention recueillie dans "L’histoire d’un salaud / Un salaud dans l’histoire", un bonus proposé avec le DVD du film (Arte Vidéo).
Un intéressant livret de 36 pages fourni avec ce DVD, et comportant de nombreuses illustrations, revient sur la naissance de ce film et sur le choc, voire le scandale, qu’il a provoqué à sa sortie en 1974.

Pour aller plus loin à propos de Lacombe Lucien :


-Un livre : Lacombe Lucien de Louis Malle, de Jacqueline Nacache (191 pages, éditions Atlande, novembre 2008).
-Un document vidéo : Louis Malle et Alex Joffé parlent de l’antisémitisme lors d’une émission télévisée animée par Philippe Bouvard, en février 1974.
-Un article du "New York Times" sur le film (septembre 1974).
-Une étude en ligne : "La réception de Lacombe Lucien en 1974 : cacophonie à tous les niveaux". Il s’agit d’un extrait de l'excellente thèse d’Aurélie Feste-Guidon « Lacombe Lucien de Louis Malle, histoire d’une polémique ou polémique sur l’Histoire ? » (2009).
-Une étude du CNDP sur le film.
-La fiche de la Bibliothèque du film sur Lacombe Lucien.
-Un chapitre de Dans la peau de Patrick Modiano, de Denis Cosnard (Fayard, 2011) est consacré à Lacombe Lucien et à la façon dont ce film s'inscrit largement dans l'oeuvre de Patrick Modiano. "Rudy, Albert, Patrick, une starlette qui travaille pour la Continental: Lacombe Lucien a beau être avant tout une oeuvre de Louis Malle, la famille Modiano s’y trouve au complet! Et l’écrivain reconnaît que ce qui lui tenait à coeur dans cette histoire, c’est «cette espèce de chaos de l’Occupation» qui fit se rencontrer des gens qui n’auraient jamais dû se croiser: un jeune paysan du Sud-Ouest et des juifs réfugiés comme ici, mais aussi son père et sa mère."

A voir aussi : les autres scénarios de Patrick Modiano.

La musique du film a été éditée en disque en 1974 chez Pathé (Minor swing par Django Reinhardt et le quintette du Hot-Club de France, Mon cœur est un violon, par André Claveau).



lundi 28 novembre 2011

Paris de ma jeunesse, Le-Tan préfacé par Modiano


Patrick Modiano a préfacé Paris de ma jeunesse, un album de son ami Pierre Le-Tan, publié par les éditions Aubier en octobre 1988.

Dans cet album, Pierre Le-Tan évoque à travers textes et dessins en noir et blanc quelques lieux et quelques figures qui ont marqué son enfance et sa jeunesse parisienne : la place Breteuil, les quais de la Seine où sa nounou l’emmenait en promenade, la rue du Quatre-Septembre, la « pauvre petite fille riche » Barbara Hutton, Martine Carol, le docteur Van Son, le couturier Jacques Fath, etc. Aux souvenirs se mêlent ici et là des éléments sortis de son imagination. 

"C’est un Paris perdu que ce « Paris de ma jeunesse ». Un Paris que l’on revisite en rêve, écrit Patrick Modiano dans sa préface. Vous aurez beau chercher à tâtons l’interrupteur, la lumière restera voilée. Vous aurez beau tendre l’oreille au milieu d’un carrefour silencieux, vous n’entendrez rien de ce que vous disent Martine Carol et la pauvre Barbara Hutton – juste un bruissement, « l’inflexion des voix chères qui se sont tues ». "


Juste avant de mourir en 2019, Pierre Le-Tan a préparé une deuxième version de ce livre, nettement enrichie par rapport à la précédente. Elle a été publiée par les éditions Stock en novembre 2019, peu après son décès. 

dimanche 27 novembre 2011

Te quiero, Modiano revu par Manuel Poirier

Une image du film
Te Quiero est un film français de Manuel Poirier, sorti le 14 février 2001.

Avec Philippe Bas, Marine Delterme, Patricia Farfan, Maruschka Detmers, Patrick Chesnais, Sergi Lopez…
Scénario Manuel Poirier, « librement adapté de Dimanche d’août ».
Durée : 1h25

Présentation par le réalisateur
« Sylvia et Jean ont quitté la France avec un diamant volé pour refaire leur vie en Amérique du sud. Ils débarquent à Lima, au Pérou, le pays d’enfance de Jean, pour y vivre leur passion. Ils rencontrent dans un bar un couple de Français énigmatiques et espèrent leur vendre le diamant volé. Leurs relations vont alors devenir étranges et ambigües… Dans cette ville troublante, se créent des jeux de séduction et de pouvoir. »
(Source : jaquette de la cassette vidéo du film).

Patrick Modiano : « C’est un beau film. Il a pris son autonomie par rapport au livre. Pour des raisons qui lui tenaient à cœur, Manuel Poirier a voulu que tout se passe à Lima. Il a su créer, par des images et des sensations très fortes, une osmose entre les personnages et la ville. Je peux dire que le Lima de Manuel Poirier me rend brusquement concret, sensible et tactile ce qui n’était jusqu’à présent pour moi qu’un paysage intérieur ». 

Villes du sommeil, un texte de Patrick Modiano

Villes du sommeil est un texte de Patrick Modiano, sur des dessins de Pierre Le-Tan.

Publication dans Epaves et débris sur la plage, de 
Pierre Le-Tan, éditions Le Promeneur (Gallimard), 1993.

Ce texte de Patrick Modiano constitue l’une des dernières parties d’Epaves et débris sur la plage, un album dans lequel 
Pierre Le-Tan évoque par le dessin et l’écriture quelques personnages, lieux et thèmes qui lui sont chers : son Vietnam perdu, des coiffures extravagantes, des peintres oubliés des années 1920, de vieux papiers, etc.
A partir de cinq dessins de Le-Tan représentant des rues presque désertes, Modiano imagine un personnage, Jean-Pierre Oblomov, sans doute recherché par la Gestapo ou le KGB. « Il s’en est sorti sain et sauf. Pour combien de temps encore ? Par prudence, il ne rentrera pas chez lui ce soir et il continuera de marcher. »

A découvrir : les autres collaborations de Modiano et Le-Tan.


vendredi 25 novembre 2011

Luisa Colpeyn, comédienne et mère de Patrick Modiano

Louisa Colpeyn en 1942
(photo publiée dans le Cahier de L'Herne Modiano)

La comédienne Luisa Colpeyn était la mère de Patrick Modiano.

Modiano l’a évoquée précisément dans l'autofiction Livret de famille, au chapitre IV, puis dans son livre autobiographique Un pedigree

Elle est née le 24 février 1918 à Anvers (Belgique).
Dans son entretien de 1975 avec Dominique Jamet, Modiano la présente comme « moitié hongroise, moitié belge ». En 1996, il rectifie auprès de Thierry Laurent : « Ma mère n’est pas moitié hongroise mais tout à fait flamande : famille modeste de dockers d’Anvers. Mais à un moment, elle a elle-même créé la confusion à cause d’un accent légèrement balkanique quand elle parlait français, et pour expliquer cet accent elle a dit qu’elle était d’origine hongroise (…) ».

« Alors avant la guerre, elle avait dix-sept, dix-huit ans, elle faisait du cinéma pour la UFA, la compagnie allemande, avant que les nazis la contrôlent. (…) Elle travaillait pour des studios à Bruxelles, pour des espèces de comédies (…) » (entretien à Dominique Jamet, "Lire", octobre 1975). Elle est alors connue sous le nom de Louisa Colpijn.

« En 1938, elle est recrutée par le cinéaste et producteur Jan Vanderheyden pour tourner dans ses « comédies » flamandes. Quatre films de 1938 à 1941. » (Un pedigree).  


La filmographie de Luisa Colpeyn recense en réalité 5 films de ce réalisateur pendant cette période.
A la même époque, elle est aussi « girl dans des revues de music-hall à Anvers et à Bruxelles» (Un pedigree).


Elle vient à Paris en juin 1942, et travaille au service du « doublage » à la Continental.
Elle s’installe dans un appartement au 15, quai de Conti, celui dans lequel Patrick Modiano passera une partie de son enfance.

Fin 1942, elle fait la connaissance d’Albert Modiano.
La rencontre a lieu « un soir d’octobre 1942, chez Toddie Werner, dite « Mme Sahuque », 28 rue Scheffer, XVIe arrondissement », précise Modiano (Un pedigree).

« Ils se sont rencontrés dans un climat assez trouble, puisque mon père était obligé de se cacher, évidemment. Dans ce Paris de l’Occupation où les choses étaient beaucoup moins tranchées qu’on l’a dit. (…) J’ai toujours trouvé qu’il y avait quelque chose de (…) romantique (…) dans la rencontre de mes parents. Elle avait vingt-deux ans, elle était actrice, il se cachait… Ils se sont mariés après, évidemment, en 1946. » (entretien avec Dominique Jamet, "Lire", octobre 1975).

Dans "Mon grand-père est né…", Patrick Modiano donne une autre date : « Ils se marient en novembre 1944, après la Libération. »
Dans Un pedigree, Modiano ne mentionne pas ce mariage.

Luisa Colpeyn et Albert Modiano se séparent « au début des années soixante », alors que Patrick Modiano a une quinzaine d'années, et que son frère Rudy vient de mourir ("Mon grand-père est né…"). 

(Pendant mon adolescence), « ma mère était souvent en tournée, dans des pays lointains » (id.).
Elle joue essentiellement des seconds rôles au théâtre, au cinéma (Rendez-vous de Juillet, par exemple) et à la télévision. On l’aperçoit ainsi dans Un Innocent, un épisode de la série Mme le juge, avec Simone Signoret, sur un scénario de… Patrick Modiano.

Louisa Colpeyn dans Virginie, comédie de Michel André
(L'Avant Scène n°144, 1957, coll. Claude Tain)

La Ronde de nuit (1969), le deuxième roman de Patrick Modiano, est dédicacé ainsi :
« Pour Rudy Modiano
Pour maman »


Luisa Colpeyn est mentionnée parmi les « seconds rôles » de Poupée blonde.

Plusieurs photographies de Luisa Colpeyn provenant de la collection particulière de Patrick Modiano ont été publiées dans le "Cahier de L'Herne" consacré à Modiano (janvier 2012).

Louisa Colpeyn est morte le 26 janvier 2015, à lge de 96 ans. Patrick Modiano, son épouse et leurs deux filles l'ont annoncé dans un avis de décès paru dans Le Monde da du 29 janvier 2015.

A découvrir sur ce site
: la filmographie de Louisa Colpeyn




L'Angle mort, huit auteurs pour un roman policier

La couverture du roman
L'Angle mort est un roman policier écrit en 1991 à l’initiative de l’hebdomadaire "L’Evénement du jeudi" par huit auteurs, chacun rédigeant un des huit (courts) chapitres : Frédéric Dard, Daniel Boulanger, Patrick Modiano, Michel Grisolia, Régis Debray, Jean-Marc Roberts, Jean Vautrin et Didier Daeninckx.

Paru initialement dans "L’Evenement du Jeudi"  (l’épisode de Modiano est sorti le 18 juillet 1991), ce roman à 16 mains fut ensuite publié par les éditions du Mercure de France (130 pages, collection Crime parfait, novembre 1991).

L’histoire
Assis dans sa voiture, Imbert regarde une grande vitre déplacée par une grue, et y aperçoit le reflet d’une femme égorgée. L’enquête qu’il mène pour tenter de retrouver cette femme et son assassin l’entraîne vers un horloger du quartier, un mystérieux lituanien, une vendeuse de lingerie, un commissaire de la DST qui l’accuse d’être un agent du KGB…

Dans le troisième chapitre, écrit par Modiano, on retrouve ici ou là sa « patte » : la peur de la police et du « panier à sal
ade », les souvenirs qui reviennent soudain. « Mais oui, il avait déjà vécu cette scène à quelques détails près. C’était dans un printemps lointain, boulevard de Clichy, à la terrasse du Bastos. Il avait dix-sept ans. (…) »
Un accident nocturne, aussi. « Une nuit, il y a dix ans, il longeait les bords de la Marne, dans la même voiture que celle d’aujourd’hui. Et, une fraction de seconde avant de disparaître, avait jailli derrière le pare-brise le visage aux traits révulsés d’une femme brune (…) ».

A lire : une présentation du livre par Claude Le Nocher (ABC Polar)

La quatrième de couverture

mercredi 23 novembre 2011

Georges Gurdjieff vu par Modiano

Né en Arménie, probablement en 1877, et mort le 29 octobre 1949 à Neuilly-sur-Seine après avoir longtemps vécu à Paris, Georges Ivanovitch Gurdjieff est présenté selon les cas comme un philosophe, un maître spirituel, un occultiste ou un gourou.

Patrick Modiano s’en est directement inspiré pour deux de ses personnages : le docteur Bode dans la troisième nouvelle du livre Des inconnues (1999), puis le docteur Bouvière dans Accident nocturne (2003).

C’est notamment de Gurdjieff que viennent les expressions « rappel de soi » et « travail sur soi », éléments clés de l’enseignement du docteur Bode dans Des inconnues.

« Pour les deux, j’ai pensé à Gurdjieff. Autour de ses livres, de sa pensée, remis au goût du jour par le New Age, gravitaient dans les années 1960 des gens vraiment bizarres qui prétendaient détenir la vérité.
C’est l’époque où j’étais en pension en Haute-Savoie. On m’avait raconté que, dans la montagne et les sanatoriums de Praz-sur-Arly, s’étaient retrouvés autrefois des écrivains vulnérables comme Jacques Daumal
[il s'agit en réalité de René Daumalet Luc Dietrich, qui étaient très influencés par la spiritualité et l’ésotérisme selon Gurdjieff. J’étais frappé par le fait que ses disciples étaient souvent recrutés chez des intellectuels qui se trouvaient dans un état physique désespéré.
Après la guerre, de gens comme Louis Pauwels et Jean-François Revel se sont encore réclamés de cet homme, dont il ne faut pas oublier qu’il est tout de même responsable de la mort, en 1923, de Katherine Mansfield. »

(extrait d’un entretien au "Nouvel Observateur", 2 octobre 2003).

« Une infime partie des hommes sont parvenus à avoir une âme », écrivit Gurdjieff. De son vivant, il avait préparé un noyau d’élèves à transmettre son enseignement. Aujourd’hui, de nombreux centres pratiquent et enseignent ses méthodes (voir par exemple le site de la Gurdjieff International Review). Nombre d’entre eux sont classés comme sectes.

Lire la présentation de Gurdjieff sur Wikipedia


1, rue Lord-Byron

Ce texte de Patrick Modiano est paru dans le "Nouvel Observateur" le 23 décembre 1978, dans le cadre d’une série intitulée « Il était une fois des conteurs… Tendre, insolite, cruel, Noël vu par sept écrivains français ».

Outre Modiano, les textes sont signés de Pierre Viansson-Ponté, Claude Roy, Bertrand Poirot-Delpech, Daniel Boulanger, Madeleine Chapsal et Georges Perec.

Ce petit conte (80 lignes imprimées) raconte la soirée de Noël d’un personnage qui semble s’appeler Mario Nash et loue un local au 1, rue Lord-Byron, dans le huitième arrondissement de Paris.
Après avoir tenté en vain de contacter plusieurs connaissances, comme un certain Fly, Géza Belmont et Arlette d’Alwyn, il finit par éteindre la lumière et s’allonger sur un lit de camp, dans cette pièce spacieuse et assez vide.


L’adresse qui donne son titre à cette courte nouvelle est celle d’un bureau d’Albert Modiano, le père de Patrick.
« Mon père avait un bureau dans le grand immeuble couleur ocre du 1 rue Lord-Byron, où il dirigeait la Société africaine d’entreprise en compagnie d’une secrétaire, Lucienne Wattier, ancienne modiste qu’il tutoyait. » (Un pedigree)

Cette adresse apparaît aussi dans Fleurs de ruine. Dans une liste d’inculpés ne s’étant pas présentés à l’audience d’une cour de justice en 1948, et donc recherchés, figure en onzième place :
« Fercrou, 1, rue Lord-Byron, dernier domicile connu ».

Arlette d’Alwyn, qui, indique le texte, travaille dans la maison de couture Maud Valois, apparaît également dans la nouvelle Johnny (NRF, 1978) et dans le chapitre IX de De si braves garçons. Elle est alors présentée comme une amie d’un ancien du collège de Valvert, Kurt alias Johnny.

Fly renvoie probablement à Robert Fly, « un ami de jeunesse de mon père, qui lui sert de chauffeur et l’accompagne partout dans une DS 19 » 
(Un pedigree).

L'immeuble du 1, rue Lord-Byron
(photo Marie Lebey)

mardi 22 novembre 2011

Mesrine, un scénario inédit signé Modiano

Inattendu : à la fin des années 1970, Patrick Modiano a participé à la rédaction d’un scénario sur la vie de Jacques Mesrine, pour un film qui n’a jamais vu le jour…

C’est Jean-Paul Belmondo qui se trouve à l’origine de l’affaire. Début 1978, l’acteur acquiert pour 500.000 francs les droits d’adaptation de L’Instinct de mort, l’autobiographie publiée quelques mois auparavant par le truand aux éditions Jean-Claude Lattès. Elle intéressait aussi Alain Delon. Belmondo entend interpréter le rôle de Mesrine.

Le scénario est confié à Patrick Modiano et Michel Audiard, avec la collaboration de Philippe Labro.
Mais le scénario a eu du mal à avancer : «Audiard parlait de Céline à Modiano qui lui parlait de Paul Morand, raconte Philippe Labro. Audiard enchaînait sur Gabin et Modiano sur Louis Malle.»

Mesrine, alors emprisonné à la Santé, est mis au courant. Sa réaction : « Ne mettez pas le mot fin, ce n’est pas fini ! ». Il s’évade quelques jours plus tard…

Gérard Lebovici doit être le producteur du film. Plusieurs metteurs en scène sont sollicités, dont Georges Lautner, Yves Boisset, Costa-Gavras, Alain Corneau. Mais tous refusent. Seul Jean-Luc Godard se déclare partant, mais, cette fois-ci, c’est Belmondo qui bloque, ne voulant pas jouer dans ce qu’il qualifie d’« expérience de laboratoire ».
Lebovici renonce finalement au projet, et stoppe le travail du duo Modiano-Audiard. 

Un premier film sur Mesrine, également adapté de L’Instinct de mort, est finalement sorti en octobre 2008. Produit par Thomas Langmann, réalisé par Jean-François Richet, ce long-métrage intitulé L’Instinct de mort est notamment interprété par Vincent Cassel, qui joue Mesrine, ainsi que par Cécile de France, Gérard Depardieu, etc.

A lire :
-Mesrine, 30 ans de cavale au cinéma, de Jean-Pierre Lavoignat et Christophe d'Yvoire, éditions Sonatine, octobre 2008.
-"Mesrine, le film maudit", de François-Guillaume Lorrain ("Le Point" du 9 décembre 2004)
-"Mesrine, le film", de Jean-Luc Drouin ("Le Monde" du 15 avril 2006).

La bande-annonce du film 
finalement tiré de L'Instinct de mort

Michel Audiard vu par Patrick Modiano

Patrick Modiano a par deux fois rendu hommage au scénariste Michel Audiard (1920-1985), qui fut son ami.

En 1978, il a publié un article intitulé "Les fantômes de Michel Audiard" à propos du roman de ce dernier La nuit, le jour et toutes les autres nuits (Denoël).
« Le livre de Michel Audiard m’a ému parce qu'en le lisant, j'ai constaté, une fois de plus, que la démarche essentielle d’un écrivain, c'est de partir à la recherche du temps perdu et des ombres qu'il a aimées, écrit notamment Patrick Modiano. Audiard nous dit à demi-mots que nous n’aurions jamais dû quitter le parc Montsouris avec ses pelouses qui descendent à pic, le petit train qui le traverse, et le palais arabe qui demeure là, dérisoire, comme le dernier vestige de notre enfance. »
("Le Monde", 23 juin 1978)

En 1985, Patrick Modiano a publié un autre article sur Michel Audiard, à l’occasion de la mort de celui-ci. Il est intitulé simplement "
Michel, mon ami".
« J’ai aimé Audiard. Pas seulement le dialoguiste du cinéma français, mais l’homme secret et délicat que j’ai eu la chance de connaître à l’occasion d’un scénario », note-t-il.
Il reparle ensuite de son livre La nuit, le jour et les autres nuits, et juge qu’Audiard était apparenté sur le plan littéraire à Céline. Il évoque aussi le travail de livreur de journaux effectué par Michel Audiard pendant l’Occupation.
« Quand je pense à Michel, c'est souvent cette image que je vois: un jeune homme sur son vélo, au crépuscule au milieu d’une ville déserte, chargé de piles de journaux mystérieux, personnage de Queneau. Michel, mon ami. »
("Le Point", 5 août 1985).

Ces deux articles ont été republiés (partiellement pour le premier) dans le livre Audiard par Audiard, pages 373 à 375 (éditions René Chateau, 2005).




lundi 21 novembre 2011

Maurice Raphaël alias Ange Bastiani

Maurice Raphaël
Qui est Maurice Raphaël ? Cette silhouette nimbée de mystère qui apparaît dans le roman Dans le café de la jeunesse perdue est celle d’un écrivain qui a réellement existé, et que Patrick Modiano a croisé dans sa jeunesse.

De son vrai nom Victor Le Page, il est né à Brest en 1918, et mort à Paris en 1977. Son deuxième prénom était Maurice, si bien qu'il est souvent appelé Victor Maurice Le Page, ou Victor Marie Le Page, tandis que son patronyme est parfois orthographié Lepage en un seul mot.


Dans son roman, Modiano évoque en quelques mots son passé sulfureux : « On disait qu’il avait eu des ennuis après la guerre sous un autre nom », « nous pensions même qu’il avait des attaches avec le Milieu »…


Qu’en est-il ? Dans un article publié dans Le Matricule des anges en 1996, Alfred Eibel a jeté une lumière crue sur cet homme qui fut selon lui un membre actif de la collaboration, «responsable aux Questions juives pour les départements de l'Eure et de l'Eure-et-Loir durant l'Occupation », et membre de la « Gestapo française » de la rue Lauriston. Il y "torturait, au service de l'occupant, avec les braqueurs, faussaires, bordeliers, bookmakers et tueurs à la lame facile qui constituaient la bande Bonny-Lafont", écrit Eibel, reprenant des rumeurs déjà évoquées par d'autres comme Pierre Drachline.

Ces accusations restent néanmoins à démontrer, et relèvent selon certains de la pure diffamation. Une certitude: en avril et juillet 1948, Victor Le Page a été condamné à un total de trois ans de prison, deux ans pour "escroquerie par faux policier" et un an pour "actes de nature à nuire à la Défense Nationale". 

Extrait de la "notice individuelle" de Victor Le Page rédigée par l'administration pénitentiaire
lors de sa demande de libération conditionnelle
Après la guerre, Victor Le Page devint écrivain. Il signa plusieurs livres sous le nom de Maurice Raphaël : Ainsi soit-il (1948, préface de Raymond Guérin), Claquemur, La Croque au sel, Le Festival, De deux choses l’une, Les Chevaux de bois sont ivres
Ces ouvrages n’ayant pas eu le succès espéré, Le Page-Raphaël changea à nouveau de nom, et de genre littéraire.
Il multiplia les pseudonymes (Zep Cassini, Ange Gabrielli, Victor Saint-Victor, Vic Vorlier, Luigi da Costa, Ralph Bertis…), et écrivit des romans érotiques, des romans policiers, des pièces de théâtre, des guides…
Il devint notamment assez célèbre pour ses « Série noire » et autres romans efficaces publiés sous le nom d’Ange Bastiani : Arrête ton char, Ben Hur !, Le Pain des Jules, Des immortelles pour Mademoiselle, Polka dans le champ de tir, L’Overdose, etc.

A lire aussi :
-Un blog consacré à Victor Le Page 

-les souvenirs de Marino Zermac, qui connut Bastiani au bistrot Le Procope (n°404)







dimanche 20 novembre 2011

L'Horizon, un roman de Patrick Modiano



L’Horizon, de Patrick Modiano, est sorti chez Gallimard le 4 mars 2010 simultanément en librairie et en version numérique (176 pages, 16,5 euros). 
Edition de poche, folio n°5327, novembre 2011.


Extrait publié en quatrième de couverture
« Il suivait la Dieffenbachstrasse. Une averse tombait, une averse d’été dont la violence s’atténuait à mesure qu’il marchait en s’abritant sous les arbres. Longtemps, il avait pensé que Margaret était morte. Il n’y a pas de raison, non, il n’y a pas de raison. Même l’année de nos naissances à tous les deux, quand cette ville, vue du ciel, n’était plus qu’un amas de décombres, des lilas fleurissaient parmi les ruines, au fond des jardins. »


Patrick Modiano a accordé de nombreux entretiens à l’occasion de la parution de ce roman.


A consulter:

- Un long entretien avec Oriane Jeancourt Galignani, du mensuel "Transfuge" (mars 2010). Une présentation est disponible en ligne.

- « On met beaucoup de soi dans un roman, comme ici avec Bosmans et aussi Margaret. On ne s’en rend pas toujours compte. Les choses viennent de manière inconsciente. Le livre à la fin vous échappe, comme quelque chose de complètement étranger, il vous rejette, commente Modiano dans un entretien accordé à l’AFP. J’ai toujours l'impression que j’écris le même livre, tout en oubliant ce que j’ai écrit avant... »



- Dans un entretien à "La Tribune de Genève", il raconte comment a commencé l’écriture du roman : « Au début, c’est angoissant. Il y a toujours une scène très précise. Pour L’Horizon, je voyais un homme qui attendait une amie à la sortie du bureau… »

- Patrick Modiano a aussi donné une longue interview au magazine "Lire", dans laquelle il revient en détail sur l’ensemble de son travail, spécialement depuis le succès d’Un pedigree

- Autre rencontre intéressante, avec Jérôme Garcin, pour le "Nouvel Observateur".

- Une très riche interview, aussi, dans "L'Express", par Marianne Payot et Delphine Peras. Modiano y parle beaucoup de lui, de politique aussi, et de tout ce qui revient de façon récurrente dans ses textes: « Avec mes livres, sans m'en apercevoir, je pourrais composer, tout comme ces plans de métro dont les lignes s'illuminent, une sorte de réseau avec des enchevêtrements ». Vous avez dit réseau ?

- Un rendez-vous, enfin, avec la RTBF belge, raconté par Thierry Bellefroid.

Deux femmes écrivain(e)s ont aussi rencontré Modiano chez lui, et racontent le rendez-vous: Alice Ferney dans "Le Figaro" et Marie Desplechin dans "Le Monde".

"Le Figaro" a également organisé un entretien entre l’auteur de L’Horizon et l’acteur Lorànt Deutsch, pour discuter de Paris.

Parmi les critiques plus classiques :
- Le "Journal du dimanche" a été le premier à publier sa critique, signée Marie-Laure Delorme : « L'Horizon est un pur roman d'amour, un des plus beaux de Patrick Modiano, où le passé devient avenir. »
- Dans "Le Point", Jean-Paul Enthoven décode de son côté ce qu’il nomme l’ « ADN du modianisme », ce mélange de grand flou et d’hyper-pointillisme à l’œuvre une fois de plus dans ce nouveau roman.
- « Si les creux sont comme toujours plus nombreux que les pleins, si le silence de Margaret et son mystère font écho au «pauvre secret» que Dora Bruder emporta dans sa tombe, les voies du roman semblent ici offrir une issue, au lieu de l’impasse à laquelle elles ont toujours abouti jusque-là », souligne Minh Tran Huy dans "Le Magazine littéraire".
- "Ce qui fait la nouveauté du roman de Modiano : le bonheur semble possible". La critique de Norbert Czarny pour "La Quinzaine littéraire"

- « Bosmans, le personnage central de son nouveau roman, Patrick Modiano l'avait d'abord assassiné », rappellent de leur côté "Les Echos".



Et sur les blogs, L’Horizon lu par…
- Marie-Odile Lautier, de la Librairie Baba Yaga à Sanary sur Mer

Un chapitre de Dans la peau de Patrick Modiano (Fayard, 2011) est consacré à L'Horizon, notamment à la façon dont l'écrivain s'est inspiré, une fois encore, de faits réels. 
Ce livre montre aussi que ce roman marque une nouvelle étape dans le travail de Modiano sur sa famille. "Avec Un pedigree, l’écrivain avait fini de réhabiliter son père et lancé plusieurs salves contre sa mère et ce "curieux personnage" de Jean Cau. Sous couvert de cauchemars, d’"images qui n’ont aucun rapport avec la réalité", comme il l’explique lors des interviews, il mène ici un nouvel assaut."

Dans le café de la jeunesse perdue, de Patrick Modiano

L'édition de poche illustrée
par une photo de René-Jacques
Dans le café de la jeunesse perdue est un roman de Patrick Modiano paru en 2007. 

Première publication : Gallimard, collection blanche, 4 octobre 2007.
Edition de poche folio-Gallimard (n°4.834) publiée en janvier 2009 illustrée par une photographie de René-Jacques.
Traductions en espagnol (En el café de la juventud perdida, éditionsAnagrama, trad. María Teresa Gallego Urrutia), en néerlandais (In het café van de verloren jeugd, éditions Querido, trad. Maarten Elzinga).

Les premières phrases
« Des deux entrées du café, elle empruntait toujours la plus étroite, celle qu'on appelait la porte de l'ombre. Elle choisissait la même table au fond de la petite salle. Les premiers temps, elle ne parlait à personne, puis elle a fait connaissance avec les habitués du Condé dont la plupart avaient notre âge, je dirais entre dix-neuf et vingt-cinq ans. Elle s'asseyait parfois à leurs tables, mais, le plus souvent, elle était fidèle à sa place, tout au fond.
Elle ne venait pas à une heure régulière. »

A lire en ligne : les premières pages

Présentation par l'éditeur
« Au début des années 1960, aux balbutiements du futur situationnisme, la bohème littéraire et étudiante se retrouve au « Condé », un café de l’Odéon. Parmi les habitués, les quatre narrateurs du roman : un étudiant des Mines, un ancien des RG, une certaine Louki, alias Jacqueline Delanque, et Roland, jeune apprenti écrivain. Dans la première séquence, l’étudiant des Mines se souvient de la vie au « Condé » et décrit minutieusement les apparitions de Louki, jeune femme de 22 ans apparemment sans attache, qui lui donne l’impression de vouloir faire « peau neuve».
Dans la deuxième, Caisley, l’ancien des RG, mène l’enquête : le mari de Louki, Jean-Pierre Choureau, l’a chargé de la retrouver. Il découvre son enfance, aux abords du Moulin-Rouge où travaillait sa mère.
Troisième partie : Louki prend la parole et se souvient de son enfance, de ses fugues, des bars interlopes du XVIIIe… Elle évoque les hommes qui l’ont aimée : Jean-Pierre Choureau, Roland, Guy de Vere l’ésotériste qui lui a fait connaître la figure de « Louise du Néant » à laquelle elle s’identifie.
Dernière partie : Roland se rappelle sa rencontre avec Louki et leur amour. Jeune homme passionné par l’«éternel retour » et qui écrit un essai sur les «zones neutres», il flotte, comme Louki, et croit pouvoir la rejoindre dans ses pensées. Mais elle lui échappe comme à tous les autres… Jusqu’au jour où il apprend, au «Condé», que Louki s’est défenestrée…
À travers le passionnant portrait kaléidoscopique d’une jeune femme à l’enfance déchirée et la peinture précise du Paris des années 1960, Dans le café de la jeunesse perdue laisse une impression tenace de poésie autant que d’insituable malaise. Une sensation étrange, qui prend le lecteur à la gorge. »

(source : Gallimard )

Patrick Modiano parle de son livre :
-« Dédé Sunbeam. Ce nom me fascinait »
Un entretien avec Philippe Lançon, de "Libération"

-« Rendre la fiction plus troublante, plus magnétique »
Un entretien avec Patrick Kéchichian, du "Monde"

-« Le Condé appartient désormais à l'imaginaire »
Un entretien avec Jérôme Garcin, du "Nouvel Observateur"

-« Oui, il y a des images qui vous hantent. J'ai pas inventé. »
Un entretien avec Christophe Ono-dit-Biot, du "Point"

-« Le mot que j'emploie le plus souvent, c'est "bizarre" »
Extrait des propos de Modiano recueillis par Bernard Pivot et Antoine de Meaux pour le documentaire « Patrick Modiano, je me souviens de tout »

-« Jeunesse perdue, temps retrouvé »
Un entretien aux "Inrockuptibles" n°620, du 15 au 22 octobre 2007

-« Louki est opaque à elle-même »
Un entretien avec Raphaëlle Leyris, du magazine "Trois couleurs" (MK2).

-Vidéo: Patrick Modiano répond à six questions sur son roman
en ligne sur le site de Gallimard

Modiano, lignes de fuite
"Il y a presque toujours une rue « en pente douce » dans les livres de Patrick Modiano. Ce n’est pas un tic d’écrivain. Plutôt une référence discrète à l’endroit où il vécut au début des années cinquante avec son jeune frère, à Jouy-en-Josas. Une sorte de paradis perdu, un horizon qui s’éloigne peu à peu.
Cette année, la rue en pente est bien au rendez-vous, dès la huitième page du texte. Vous ne pouvez que la suivre, et elle « vous amène là, au point précis où vous deviez échouer », écrit Modiano. Cette dérive inéluctable, celle de Louki, l’héroïne, au cours des années soixante, c’est tout le sujet de Dans le café de la jeunesse perdue. Un roman superbe et émouvant qui descend en pente douce vers une fin tragique.
Louki n’a pas toujours été Louki. Ce surnom, ce sont les habitués du Condé, un café de l’Odéon, qui le lui ont donné. Car cette jeune femme de 22 ans ne se laisse pas glisser sans réagir. Face aux difficultés de la vie, elle tente plusieurs fois de faire peau neuve, et change de nom. Elle fut Jacqueline Delanque. Puis Mme Choureau. Puis Louki, lorsqu’après avoir fui sa mère, elle quitte son mari, associé-gérant dans une société d’immobilier, et se réfugie au Condé. « Je n’étais vraiment moi-même qu’à l’instant où je m’enfuyais », résume-t-elle.
Au Condé, elle retrouve la bohème du Quartier latin. Des habitués, comme Zacharias, Tarzan, Guy de Vere, Bowing, Mireille, Babilée, la Houpa, Adamov… Des étudiants, des artistes, des férus d’ésotérisme. Des personnages de pure fiction auxquels se mêlent quelques figures réelles comme Maurice Raphaël, cet écrivain que Modiano cite sous son nom le plus oublié, et qui publia surtout des « Série noire » sous le pseudonyme d’Ange Bastiani. Drôle d’ange en fait, qui fut accusé d’avoir torturé avec la « Gestapo française » de la rue Lauriston, et « eut des ennuis après la guerre », comme l’évoque pudiquement Modiano. Il prit alors lui aussi un autre nom, et tenta de remonter la pente. Louki, elle, finira par se laisser tomber…
Il y a deux ans, Patrick Modiano s’était pour la première fois risqué à parler de lui sans les masques de la fiction. Ce fut Un pedigree, un début d’autobiographie en forme de fiche de police qui lui a sans doute permis d’en finir avec certains de ses fantômes. Aujourd’hui, il reprend l’histoire au point précis où il l’avait laissée : dans les années soixante, lorsqu’il arrête ses études pour se consacrer à l’écriture. Bien-sûr, c’est un roman, cette fois-ci. Mais un roman nourri une fois de plus d’autobiographie.
Oui, l’élève qui est le premier à raconter l’histoire de Louki, celui qui décide de lâcher ses études, c’est Modiano. C’est lui aussi, Louki. La part féminine en lui, la part fugueuse aussi, celles qu’il poursuit depuis une dizaine d’années et qui l’ont notamment conduit sur les traces de Dora Bruder. Dans Du plus loin de l’oubli, en 1996, il y avait d’ailleurs déjà une Jacqueline qui passait ses journées dans les cafés de la rue Dante, reniflait de l’éther et se voyait fuir à Majorque, comme Louki. Elle épousait un certain Georges Caisley.
Cette fois-ci, pas de Georges, mais un Pierre Caisley. Un ancien flic qui enquête sur Louki, et rapporte une bonne part du récit. C’est Modiano, lui aussi, évidemment. Le Modiano détective qui scrute des photomatons, déambule dans Paris à la recherche d’un ancien garage, relève des listes de noms et de téléphones pour nourrir son rapport.
Quant au dernier narrateur, Roland, l’amant de Louki, nul doute qu’il cache aussi l’auteur. Comme lui, Modiano avait recensé à vingt ans une série de no man’s landparisiens. Comme lui surtout, l’écrivain se sent un survivant, depuis que son frèreest mort à l’âge de neuf ans. « A partir de cet instant-là, il y a eu une absence dans ma vie, un blanc, qui ne me causait pas seulement une sensation de vide, mais que je ne pouvais pas soutenir du regard », dit Roland dans les dernières pages – à moins que ce ne soit Modiano. Un écrivain au sommet de son art, qui réussit avec une grande économie de moyens un récit déchirant."

Denis Cosnard
(critique parue dans "Les Echos" du 2 octobre 2007).

Le titre du roman fait écho à une phrase de l’écrivain et cinéaste situationniste Guy Debord, tirée d’un de ses films au titre en forme de palindrome, In girum imus nocte et consumimur igni (1978), et que Modiano cite en épigraphe:
« À la moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d’une sombre mélancolie, qu’ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue. »
Cette phrase est elle-même une référence à Dante.
Pour voir des extraits du film de Debord


A lire pour aller plus loin : 

-Dans le café de la jeunesse perdue lu par l'écrivain Paul Gellings (sur ce blog)

-"Dante chez Modiano"dans la revue électronique de littérature française "Relief" : une passionnante analyse de Manet van Montfrans sur les liens entre Dans le café de la jeunesse perdue et la Divine comédie. L’auteur, spécialiste de littérature contemporaine à l’Université d’Amsterdam, montre que les pérégrinations des personnages de Modiano renvoient à celles qu’évoque Dante dans son livre.

-Dans la peau de Patrick Modiano, de Denis Cosnard (Fayard, 2011).
Un chapitre de ce livre-enquête est consacré au roman, en particulier à la véritable Jacqueline dont s’est inspiré Patrick Modiano.

-Les Enjeux de l'adolescence, par Hélène Deltombe. Editions Michèle, collection Je est un autre, 2011.
Un très bon ouvrage sans jargon sur la psychanalyse et les adolescents, assorti de cas rencontrés par l'auteur dans sa pratique, mais aussi d'exemples littéraires. Un chapitre sur la distinction entre la mélancolie et la dépression est ainsi largement consacré au Café de la jeunesse perdue. Hélène Deltombe met intelligemment en relation la description du parcours de Louki et les propos de Lacan sur les suicides chez les mélancoliques.

L'édition originale du roman
La traduction en espagnol
La traduction en néerlandais