dimanche 23 juillet 2023

Un nouveau Modiano annoncé pour octobre


Après Chevreuse, paru en octobre 2021, un nouveau roman de Patrick Modiano est annoncé pour l'automne 2023. Son titre : La Danseuse. Il sera comme les précédents publié dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard, l'éditeur historique du Prix Nobel de littérature 2014. La date de parution prévue est le jeudi 5 octobre, et le prix, fixé à 16 euros.

En attendant le livre lui-même, l'éditeur a rendu public une phrase de présentation du roman : "Portrait d'une danseuse qui, chaque matin, se rend dans les bâtiments vétustes du studio Wacker, situé place de Clichy, pour prendre des cours de danse avec Boris Kniaseff, un professeur russe renommé."

Boris Kniaseff (1900-1975) a réellement existé. Né à Saint-Pétersbourg, il a quitté la Russie en 1917, d'abord pour Sofia, puis pour Paris, en 1924. Il y a vécu jusqu'à sa mort. Comme l'évoque le résumé du roman, Kniassef a effectivement donné des cours au studio Wacker, une école de danse fondée en 1923 et situé au 67-69, rue de Douai, tout près de la place de Clichy, dans le IXe arrondissement de Paris. 


Avant ce roman, Patrick Modiano avait déjà évoqué dans ses textes plusieurs danseuses. Quatre d'entre elles, bien réelles, sont particulièrement marquantes.

La première est évidemment Luisa Colpeyn, la mère de l'écrivain, ancienne "girl dans des revues de music-hall à Anvers et à Bruxelles", à la fin des années 1930, comme il l'écrit dans son autobiographie Un pedigree

Les deux suivantes sont des danseuses du Bal Tabarin, Gysèle Hollerich et Andrée Roger, dite Lydia Rogers. Albert Modiano, le père de Patrick Modiano, avait rencontré Gysèle Hollerich en août 1940, aux Sables-d’Olonne (Vendée), peu après son départ de la caserne d’Angoulême. Sa collègue Lydia Rogers fut la maîtresse du comte Guy de Voisins-Lavernière (pourtant marié à l’actrice Corinne Luchaire) dont elle eut un enfant. Patrick Modiano évoque ces deux danseuses dans plusieurs livres, dont Un Pedigree et Paris Tendresse

Gay Orlova

Galina Orlow dite Gay Orlova ou Gay Orloff (1914-1948), enfin, constitue également un personnage notable de Modiano. Elle aussi était une amie de son père. Née à Petrograd (Russie) le 11 février 1914, "elle avait, très jeune, émigré aux États-Unis", rapporte Modiano dans Un Pedigree. "À vingt ans, elle dansait dans une revue en Floride et elle y avait rencontré un petit homme brun très sentimental et très courtois dont elle était devenue la maîtresse : un certain Lucky Luciano", truand américain bien connu. Arrivée en France en 1936, elle s'y marie en 1938 avec Victor Benjamin Marie Ghislain Alain Eudes d’Eudeville (1903-1956) et obtient ainsi la nationalité française. Morte en 1948, elle est enterrée à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne). 

Cette Galina Orlow, citée notamment dans Rue des boutiques obscures, a aussi donné son prénom à l'un des personnages marquants de Catherine Certitude, Odette Marchal dite Galina Dismaïlova, une ancienne danseuse du Casino de Paris devenue professeur de danse. C'est elle qui apprend la danse à la petite Catherine. Celle-ci devient danseuse à son tour. 


Dessin de Sempé extrait de Catherine Certitude

mardi 27 décembre 2022

"Pic et Pat" : quand les frères Modiano inspiraient un feuilleton en BD

 

Première page du premier épisode de Nous partons faire le tour du monde, dans Elle.

Patrick Modiano le raconte lui-même dans un entretien accordé à Elle (22 décembre 2022, numéro 4018) : au milieu des années 1950, le magazine a publié un feuilleton en bande dessinée dont les deux personnages principaux, Pic et Pat, étaient en partie inspirés du futur écrivain et de son petit frère, Rudy

A l'origine de ce feuilleton, deux autres frères, Jacques et François Gall. A la fois journalistes et écrivains, ils travaillent notamment pour le quotidien France-Soir de Pierre Lazareff et pour le magazine Elle fondé par son épouse Hélène Lazareff. 

Ils sont également proches de la famille Modiano, et fréquentent leur appartement du quai Conti. "Je crois que l’un devait être amoureux de ma mère, il venait souvent à la maison, indique Patrick Modiano à Elle. Ma mère ne s’occupait pas tellement de nous, alors il nous emmenait avec mon frère. On les considérait un peu comme des parrains. À cet âge-là, on ne se pose pas beaucoup de questions." L'écrivain ne cite cependant aucun des deux frères Gall dans son autobiographie, Un pedigree

Un jour, un des deux frères Gall dit à Patrick Modiano, alors âgé d'une dizaine d'années : "On est en train d’écrire un texte, quelque chose autour de vous, une histoire où vous faites le tour du monde."

Ce texte, c'est celui de Nous partons faire le tour du monde, une bande dessinée en dix épisodes parue à partir du 19 mars1956. Les illustrations sont réalisées par Jacqueline Duhême, une ancienne apprentie de Matisse, compagne d’Éluard, collaboratrice et amie intime de Prévert, et elle aussi protégée d’Hélène Lazareff.

samedi 26 novembre 2022

"Brassaï de la nuit", par Patrick Modiano


A la demande de Reporters sans frontières, Patrick Modiano a accepté de donner un texte pour le bel album consacré par l'organisation de défense de la liberté de la presse au photographe Brassaï (1899-1984), maître incontesté des lumières de la nuit et inlassable arpenteur de Paris. 

Ce texte, intitulé "Brassaï de la nuit", court sur six pages, en avant-propos d'un portfolio de 100 photographies séquencé en sept chapitres (Jour et nuit, Soirées, Canaille, Petits métiers, Artistes de sa vie, Surréel et Sans frontières).

Pour l'essentiel, cet avant-propos reprend le texte du livre Paris Tendresse, cosigné par Modiano et Brassaï, et publié aux éditions Hoëbeke en 1990. L'écrivain a simplement raccourci son texte, modifié quelques détails, et ajouté trois paragraphes dans lesquels il compare notamment la démarche de Brassaï et celles de Nicolas Restif de la Bretonne et de Gérard de Nerval.

Le début de l'avant-propos est le même que celui de Paris Tendresse : «Je n’ai rencontré Brassaï qu’une seule fois, chez un ami, Roger Grenier. Il m’a parlé de la manière dont il prenait ses photos, la nuit, à Paris, dans les années trente. Il lui arrivait de cacher son appareil quand il photographiait les mauvais lieux et les mauvais garçons. Ceux-ci avaient fini par l’adopter. Ils n’avaient rien à craindre, Brassaï n’était pas un indic, mais un poète qui, comme Genet, transmettrait très loin dans le temps leurs visages et les lumières noires et blanches de Paris. »

Publié en novembre 2022, l'album de Reporters sans frontières comporte également d'autres textes sur Brassaï, des contributions inédites de Laure Adler (journaliste), Dimitri Beck (directeur de la photographie), Denis Cosnard (journaliste), C215 (artiste), Sophie Jacotot (historienne), José Lebrero Stals (directeur du Musée Picasso à Málaga) et Philippe Ribeyrolles (neveu et filleul de Brassaï).

samedi 22 octobre 2022

Zwy Milshtein vu par Patrick Modiano


« Les hasards de la vie ont fait que Zwy Milshtein est lié pour moi à des souvenirs anciens, alors que je ne l'ai rencontré que cette année 2004 dans son atelier. »
 C'est par ces mots que débute le texte court, sans titre, que Patrick Modiano a consacré au peintre Zwy Milshtein (1934-2020) en 2004, à l'occasion d'une exposition de travaux de ce dernier dans les jardins du Luxembourg.

Modiano y évoque sa découverte des oeuvres de Zwy Milshtein, à l'âge de treize ans, grâce à Katia Granoff, une femme qui tenait une galerie d'art au 13 quai Conti, dans un immeuble mitoyen de celui où habitait la famille Modiano, au numéro 15.

« Dans ma mémoire est restée gravée la silhouette de ma voisine Katia Granoff ; son chignon, son allure de vieille petite fille et de poupée russe. Elle était liée à la grande époque de Montparnasse, celle de Chagall et de Soutine, et ce n’est pas le hasard si Milshtein a débuté chez elle…», écrit Modiano.

Plus loin, il note : « Zwy Milshtein, à ses débuts, appartenait à ce Paris cosmopolite de la fin des années cinquante, qui ressemblait si fort au Montparnasse des années vingt que la ville retrouvait une nouvelle jeunesse. Des artistes venus de tous les horizons devenaient très vite des paysans de Paris. » Avant de conclure : « Le temps a passé et il n'y a plus de Katia Granoff, quai de Conti. Mais j'ai traversé la Seine et j'ai retrouvé, dans son atelier de la rue des Filles-du-Calvaire, un Zwy Milshtein toujours aussi jeune, aussi inventif et aussi passionné. »

En 2007, ce texte a été publié en préface du livre de Zwy Milshtein, Vodka, harengs et quelques larmes (Slatkine, 208 p)



dimanche 2 octobre 2022

"Bony et sa bande" par Patrick Modiano

 

Début 1970 paraît aux éditions Fayard le premier livre d'un journaliste de 34 ans, Philippe Aziz (1935-2001), Tu trahiras sans vergogne. Il est entièrement consacré à Pierre Bonny et Henri Chamberlin dit Lafont, les deux "collabos" associés au sein de la "Gestapo française" de la rue Lauriston.

Pour Le Monde des livres, c'est Patrick Modiano qui signe la critique de cet ouvrage, dans un article publié dans le numéro daté du 14 mars 1970, et intitulé "Bony et sa bande" (les noms de Bonny et Lafont sont orthographiés par erreur Bony et Laffont dans tout le texte).

Patrick Modiano n'a alors publié lui-même que deux romans, La Place de l'étoile et La Ronde de nuit, mais l'un et l'autre ont pour décor l'Occupation, avec une attention particulière portée aux collaborateurs et aux personnages de traîtres. Ainsi Bonny et Lafont se trouvent-ils au centre de La Ronde de nuit, renommés pour l'occasion Pierre Philibert et Le Khédive.

Tu trahiras sans vergogne a passionné Modiano. "Certains livres nous restituent le climat d'une époque, nous en font respirer l'odeur, écrit-il. Tu trahiras sans vergogne, de Philippe Aziz, est de ceux-là. En faisant surgit de l'ombre les figures de deux auxiliaires français de Gestapo : l'ex-inspecteur Pierre Bony et le truand Henri Laffont, qui dirigèrent pendant quatre ans sous le patronage des autorités allemandes une officine de police rue Lauriston, Aziz nous plonge, avec une remarquable force d'évocation, dans toute l'horreur et la démence des années 40-44 à Paris."

Après avoir détaillé le contenu de l'ouvrage, Patrick Modiano conclut : "Jusque-là, on s'était attaché aux figures lumineuses et héroïques de cette époque : les Jean Moulin, les Pierre Brossolette, les Guy Môquet. Mais pour avoir une idée exacte des années "noires", pour en sentir toute la tristesse et l'odeur de pourriture, il fallait aussi montrer ce que cette époque a révélé d'exceptionnel dans la trahison et dans le crime. On lira Tu trahiras sans vergogne de Philippe Aziz comme le document le plus amer, le plus troublant, paru jusqu'à ce jour sur l'Occupation."

La lecture du livre de Philippe Aziz a visiblement encouragé Patrick Modiano a poursuivre lui aussi son travail sur "la trahison et le crime", "les éléments les plus troubles de la population" devenus les "vrais complices" des Nazis, comme il l'écrit dans son article : la sinistre Gestapo française de la rue Lauriston est de nouveau au cœur de son roman suivant, Les Boulevards de ceinture.