samedi 2 décembre 2023

Patrick Modiano rend un nouvel hommage à Jean-Marc Roberts

Que sont mes amis devenus : c'est sous ce titre emprunté au poète Rutebeuf que Patrick Modiano rend un nouvel hommage à son ami éditeur Jean-Marc Roberts 
(1954-2013).

A l'occasion des dix ans de la disparition de Roberts, 27 des écrivains qu'il avait publiés au fil des ans chez Julliard, au Seuil, au Mercure de France, chez Fayard ou chez Stock ont été appelés à écrire un texte court sur cette figure flamboyante de l'édition.

Parmi ces témoignages, réunis dans un livre intitulé "Je vous ai lu cette nuit" (Albin Michel), figure celui de Patrick Modiano. Partant du vers de Rutebeuf, le Prix Nobel de littérature se souvient "du jeune homme de dix-huit ans à peine" qui l'accueillit dans sa petite chambre, "un jour de 1972", et de l'amitié qui naquit alors : "Nous formions une petite bande, Pamela, Dominique, Zina, Gabriel, Marie, Dina, à laquelle s'ajouta Franck Maubert, dit Momo, et Pierre Le-Tan, qui n'est plus là, lui non plus."

Modiano rappelle aussi que Roberts est devenu son éditeur pour trois livres, parus au Seuil (Remise de peine, Fleurs de ruine et Chien de printemps: "Je l'ai vu à l'œuvre. J'ai compris pourquoi il était si aimé et respecté."

dimanche 22 octobre 2023

Les danseuses de Patrick Modiano

Dessin de Sempé extrait de Catherine Certitude

Avant son court roman La Danseuse (Gallimard, 2023), Patrick Modiano avait déjà évoqué dans ses textes d'assez nombreuses danseuses, ce qui fait de la danse et de ses interprètes un motif récurrent de l'œuvre de l'écrivain. Cinq de ces danseuses, bien réelles, méritent un regard particulier. 

Pour les lecteurs fidèles de Modiano, la première paraît évidemment être Luisa Colpeyn, la mère de l'écrivain, ancienne "girl dans des revues de music-hall à Anvers et à Bruxelles", à la fin des années 1930, comme il l'écrit dans son autobiographie Un pedigree. Dans un entretien au Monde, il a toutefois démenti catégoriquement tout lien entre le personnage central de La Danseuse et sa mère : "Rien à voir avec ma mère, qui n’a jamais été danseuse. Tout juste simple “figurante” dans deux revues à Bruxelles quand elle avait 18 ans."

Patrick Modiano n'en a pas moins été très tôt en contact avec des danseuses : "Les hasards de la vie ont fait que j’ai côtoyé le monde de la danse très jeune et que j’éprouvais la plus grande admiration pour le travail des danseuses et des danseurs", indique-t-il dans le même entretien au Monde. Comme il l’évoquait dans Un pedigree,  puis y revient en force dans La Danseuse, le spectacle du grand chorégraphe George Balanchine La Somnambule (1946) lui a en particulier causé une grande émotion quand il l’a applaudi, tout enfant. 

"Petit, j'ai eu un choc en assistant à un ballet adapté par Balanchine d'un opéra [de Vincenzo Bellini], La Somnambule, a-t-il expliqué à Joseph Ghosn et Minh Tran Huy dans Le Figaro Madame. On voyait une danseuse – qui était l'épouse de Balanchine, Maria Tallchief, mi-Irlandaise, mi-Amérindienne – marcher comme une somnambule pendant un temps assez long. Elle évoluait en silence, portait à un moment un personnage amoureux d'elle dans le spectacle… C'est ce silence qui m'avait frappé. Au cirque, dans les numéros de trapézistes, on a le même type de moment quand les acrobates passent d'un trapèze à l'autre, sauf que précisément, c'est toujours précédé d'un roulement de tambour. La danse m'apparaissait comme un art silencieux. Le corps exprime et s'exprime avec limpidité sans utiliser les mots. Et il faut un tel effort, une telle douleur, une telle rigueur pour parvenir à cet indicible…"


Deux autres danseuses
 méritent attention : celles du Bal Tabarin, Gysèle Hollerich et Andrée Roger, dite Lydia Rogers. Albert Modiano, le père de Patrick Modiano, avait rencontré Gysèle Hollerich en août 1940, aux Sables-d’Olonne (Vendée), peu après son départ de la caserne d’Angoulême. Sa collègue Lydia Rogers fut la maîtresse du comte Guy de Voisins-Lavernière (marié à l'époque à l’actrice Corinne Luchaire), dont elle eut un enfant. Patrick Modiano évoque ces deux danseuses dans plusieurs textes, dont Un Pedigree et Paris Tendresse

Gay Orlova

Galina Orlow dite Gay Orlova ou Gay Orloff (1914-1948), enfin, constitue également un personnage notable de Modiano. Elle aussi était une amie de son père. Née à Petrograd (Russie) le 11 février 1914, "elle avait, très jeune, émigré aux États-Unis", rapporte Modiano dans Un Pedigree"À vingt ans, elle dansait dans une revue en Floride et elle y avait rencontré un petit homme brun très sentimental et très courtois dont elle était devenue la maîtresse : un certain Lucky Luciano", truand américain bien connu. Arrivée en France en 1936, elle s'y marie en 1938 avec Victor Benjamin Marie Ghislain Alain Eudes d’Eudeville (1903-1956) et obtient ainsi la nationalité française. Morte en 1948, elle est enterrée à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne). 

Cette Galina Orlow, citée notamment dans Rue des boutiques obscures, a aussi donné son prénom à l'un des personnages marquants de Catherine Certitude, Odette Marchal dite Galina Dismaïlova, une ancienne danseuse du Casino de Paris devenue professeur de danse. C'est elle qui apprend la danse à la petite Catherine. Celle-ci devient danseuse à son tour. 


dimanche 23 juillet 2023

La Danseuse, Modiano millésime 2023

Après Chevreuse, paru en octobre 2021, un nouveau roman de Patrick Modiano, La Danseuse, est sorti le 5 octobre 2023. Il est comme les précédents publié dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard, l'éditeur historique du Prix Nobel de littérature 2014. 

Ce roman, l'un des plus courts de Modiano (à peine 90 pages), est centré sur une danseuse dont le nom n'est jamais cité. Chaque matin, elle se rend dans les bâtiments vétustes du studio Wacker, situé place de Clichy, pour prendre des cours de danse avec Boris Kniaseff, un professeur russe renommé. Le récit se focalise sur les relations entre la danseuse, son petit garçon, Pierre, et le jeune homme auquel elle le confie parfois – le narrateur principal, un double de l’écrivain.

« Brune ? Non. Plutôt châtain foncé avec des yeux noirs. Elle est la seule dont on pourrait retrouver des photos. Les autres, sauf le petit Pierre, leurs ­visages se sont estompés avec le temps. » Des les premières lignes, le précis et le flou s’entremêlent, les années gomment les points de repère, tout en laissant certains détails remonter intacts d’un lointain passé tumultueux.  

Comme bien d'autres personnages de ce roman, Boris Kniaseff (1900-1975) a réellement existé. Né à Saint-Pétersbourg, il a quitté la Russie en 1917, d'abord pour Sofia, puis pour Paris, en 1924. Il y a vécu jusqu'à sa mort. Comme l'évoque le résumé du roman, Kniassef a effectivement donné des cours au studio Wacker, une école de danse fondée en 1923 et situé au 67-69, rue de Douai, tout près de la place de Clichy, dans le IXe arrondissement de Paris. 


 
A lire à propos de La Danseuse


"Modiano, encore un chef-d’œuvre" (Frédéric Beigbeder, Le Figaro Magazine) 
"Un magnifique concentré de Modiano" (Denis Cosnard, Le Monde)
"Le Paris fantôme de Modiano" (Isabelle Lesniak, Les Echos)
- "La nuit des temps" (Marie-Laure Delorme, Paris Match)
- "Quand Modiano fait des pointes" (Jérôme Garcin, L'Obs)
- "Modiano vers la mystique" (Etienne de Montety, Le Figaro)


Entretiens :



 

mardi 27 décembre 2022

"Pic et Pat" : quand les frères Modiano inspiraient un feuilleton en BD

 

Première page du premier épisode de Nous partons faire le tour du monde, dans Elle.

Patrick Modiano le raconte lui-même dans un entretien accordé à Elle (22 décembre 2022, numéro 4018) : au milieu des années 1950, le magazine a publié un feuilleton en bande dessinée dont les deux personnages principaux, Pic et Pat, étaient en partie inspirés du futur écrivain et de son petit frère, Rudy

A l'origine de ce feuilleton, deux autres frères, Jacques et François Gall. A la fois journalistes et écrivains, ils travaillent notamment pour le quotidien France-Soir de Pierre Lazareff et pour le magazine Elle fondé par son épouse Hélène Lazareff. 

Ils sont également proches de la famille Modiano, et fréquentent leur appartement du quai Conti. "Je crois que l’un devait être amoureux de ma mère, il venait souvent à la maison, indique Patrick Modiano à Elle. Ma mère ne s’occupait pas tellement de nous, alors il nous emmenait avec mon frère. On les considérait un peu comme des parrains. À cet âge-là, on ne se pose pas beaucoup de questions." L'écrivain ne cite cependant aucun des deux frères Gall dans son autobiographie, Un pedigree

Un jour, un des deux frères Gall dit à Patrick Modiano, alors âgé d'une dizaine d'années : "On est en train d’écrire un texte, quelque chose autour de vous, une histoire où vous faites le tour du monde."

Ce texte, c'est celui de Nous partons faire le tour du monde, une bande dessinée en dix épisodes parue à partir du 19 mars1956. Les illustrations sont réalisées par Jacqueline Duhême, une ancienne apprentie de Matisse, compagne d’Éluard, collaboratrice et amie intime de Prévert, et elle aussi protégée d’Hélène Lazareff.

samedi 26 novembre 2022

"Brassaï de la nuit", par Patrick Modiano


A la demande de Reporters sans frontières, Patrick Modiano a accepté de donner un texte pour le bel album consacré par l'organisation de défense de la liberté de la presse au photographe Brassaï (1899-1984), maître incontesté des lumières de la nuit et inlassable arpenteur de Paris. 

Ce texte, intitulé "Brassaï de la nuit", court sur six pages, en avant-propos d'un portfolio de 100 photographies séquencé en sept chapitres (Jour et nuit, Soirées, Canaille, Petits métiers, Artistes de sa vie, Surréel et Sans frontières).

Pour l'essentiel, cet avant-propos reprend le texte du livre Paris Tendresse, cosigné par Modiano et Brassaï, et publié aux éditions Hoëbeke en 1990. L'écrivain a simplement raccourci son texte, modifié quelques détails, et ajouté trois paragraphes dans lesquels il compare notamment la démarche de Brassaï et celles de Nicolas Restif de la Bretonne et de Gérard de Nerval.

Le début de l'avant-propos est le même que celui de Paris Tendresse : «Je n’ai rencontré Brassaï qu’une seule fois, chez un ami, Roger Grenier. Il m’a parlé de la manière dont il prenait ses photos, la nuit, à Paris, dans les années trente. Il lui arrivait de cacher son appareil quand il photographiait les mauvais lieux et les mauvais garçons. Ceux-ci avaient fini par l’adopter. Ils n’avaient rien à craindre, Brassaï n’était pas un indic, mais un poète qui, comme Genet, transmettrait très loin dans le temps leurs visages et les lumières noires et blanches de Paris. »

Publié en novembre 2022, l'album de Reporters sans frontières comporte également d'autres textes sur Brassaï, des contributions inédites de Laure Adler (journaliste), Dimitri Beck (directeur de la photographie), Denis Cosnard (journaliste), C215 (artiste), Sophie Jacotot (historienne), José Lebrero Stals (directeur du Musée Picasso à Málaga) et Philippe Ribeyrolles (neveu et filleul de Brassaï).