samedi 25 janvier 2020

Une nouvelle édition de Paris de ma jeunesse, de Pierre Le-Tan

Une nouvelle édition de Paris de mon enfance, enrichie par Pierre Le-Tan peu avant sa mort, vient de paraître, avec la préface initiale de Patrick Modiano. Ce livre prouve que l’illustrateur était aussi un véritable écrivain. 

Jacques Sermagne n’a pas laissé de trace indélébile dans l’histoire du cinéma. Il faut donc croire Pierre Le-Tan sur parole quand il raconte avoir travaillé avec ce metteur en scène et cherché pour lui des lieux de tournage en perspective d’un film inabouti. 

« Vous voyez les villes dans lesquelles se déroulent nos rêves ?, lui avait demandé Sermagne. Tout y est précis, beaucoup plus intense que dans la réalité. Et pourtant elles disparaissent en quelques secondes, dès le réveil… Comme une ­statue de bois finement sculptée, mais rongée par les vers, il suffit d’y toucher et elle se désintègre. » Sur la pellicule, il voulait fixer « juste l’instant d’avant ».

Depuis, Sermagne a disparu, parti « s’installer à Cancun » selon les uns, « se faire soigner dans le Jura » selon d’autres. Pierre Le-Tan s’est, lui, définitivement éclipsé le 17 septembre, à 69 ans. Le jour même, à l’hôpital, il avait corrigé les épreuves de ce Paris de ma jeunesse dans lequel il tente justement de fixer « l’instant d’avant ». D’avant qu’une banque ne remplace L’Alcyon, « un salon de thé aux rideaux tirés qui m’avait tant intrigué quand j’étais petit ». D’avant que Martine Carol, Jacques Fath, l’empereur Bao Dai et tant d’autres ne sombrent dans l’oubli. D’avant que sa jeunesse n’ait tout à fait filé.

En 1988, Pierre Le-Tan avait publié une première version de ce livre merveilleux, avec une préface de son ami Patrick Modiano. Il y mélangeait souvenirs véridiques et anecdotes inventées. 

Trente ans plus tard, il a souhaité ­l’enrichir d’une douzaine de textes et d’autant de dessins. Uniquement des souvenirs, cette fois-ci, assure-t-il. C’est ainsi que resurgit, parmi d’autres, Jacques Sermagne. A côté du chapitre qui lui est consacré, Le-Tan a dessiné un coin de rue, une boutique aux stores baissés, et un passant qui s’éloigne. De Sermagne, on n’aperçoit que l’imperméable.

A la mort de Pierre Le-Tan, ses admirateurs ont célébré l’élégance et l’humour discret de ses dessins hachurés, avec leurs promeneurs solitaires et parfois la queue d’un chat. La publication de cette nouvelle version de Paris de ma jeunesse montre combien l’illustrateur était aussi un véritable écrivain. Les textes réunis ici constituent de petits ­bijoux de finesse. Plus que jamais, Le-Tan y apparaît comme un très habile « farceur mélancolique », selon la formule de l’écrivain Jean-Jacques Schuhl, un autre de ses amis.

A l’époque où ils avaient ­imaginé ensemble deux ouvrages, Memory Lane et Poupée blonde, Patrick Modiano avait incité Pierre Le-Tan à supprimer adjectifs et adverbes dans les légendes de ses images. Leçon retenue. Dans les phrases comme les ­dessins ne subsiste que l’essentiel : une atmosphère volontairement « précise et vaporeuse », d’où émergent d’attachantes silhouettes esquissées en quelques mots, quelques traits de plume à l’encre de Chine. Le jardin de l’hôtel Matignon est par exemple résumé d’une formule : « On disait qu’une espèce d’oiseaux avait survécu là alors qu’elle n’existait plus ailleurs. » Délicat message transmis à Edouard Philippe. Et à ­Jacques Sermagne, au cas où il voudrait y tourner son film.

Denis Cosnard

2 commentaires:

  1. Cher Denis,
    Comment ne pas commander cette nouvelle édition du livre de Pierre Le Tan après votre si joli commentaire !
    Amicalement,
    France

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  2. J'ai très envie moi aussi d'acquérir ce livre !

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