Début 1970 paraît aux éditions Fayard le premier livre d'un journaliste de 34 ans, Philippe Aziz (1935-2001), Tu trahiras sans vergogne. Il est entièrement consacré à Pierre Bonny et Henri Chamberlin dit Lafont, les deux "collabos" associés au sein de la "Gestapo française" de la rue Lauriston.
Pour Le Monde des livres, c'est Patrick Modiano qui signe la critique de cet ouvrage, dans un article publié dans le numéro daté du 14 mars 1970, et intitulé "Bony et sa bande" (les noms de Bonny et Lafont sont orthographiés par erreur Bony et Laffont dans tout le texte).
Patrick Modiano n'a alors publié lui-même que deux romans, La Place de l'étoile et La Ronde de nuit, mais l'un et l'autre ont pour décor l'Occupation, avec une attention particulière portée aux collaborateurs et aux personnages de traîtres. Ainsi Bonny et Lafont se trouvent-ils au centre de La Ronde de nuit, renommés pour l'occasion Pierre Philibert et Le Khédive.
Tu trahiras sans vergogne a passionné Modiano. "Certains livres nous restituent le climat d'une époque, nous en font respirer l'odeur, écrit-il. Tu trahiras sans vergogne, de Philippe Aziz, est de ceux-là. En faisant surgit de l'ombre les figures de deux auxiliaires français de Gestapo : l'ex-inspecteur Pierre Bony et le truand Henri Laffont, qui dirigèrent pendant quatre ans sous le patronage des autorités allemandes une officine de police rue Lauriston, Aziz nous plonge, avec une remarquable force d'évocation, dans toute l'horreur et la démence des années 40-44 à Paris."
Après avoir détaillé le contenu de l'ouvrage, Patrick Modiano conclut : "Jusque-là, on s'était attaché aux figures lumineuses et héroïques de cette époque : les Jean Moulin, les Pierre Brossolette, les Guy Môquet. Mais pour avoir une idée exacte des années "noires", pour en sentir toute la tristesse et l'odeur de pourriture, il fallait aussi montrer ce que cette époque a révélé d'exceptionnel dans la trahison et dans le crime. On lira Tu trahiras sans vergogne de Philippe Aziz comme le document le plus amer, le plus troublant, paru jusqu'à ce jour sur l'Occupation."
La lecture du livre de Philippe Aziz a visiblement encouragé Patrick Modiano a poursuivre lui aussi son travail sur "la trahison et le crime", "les éléments les plus troubles de la population" devenus les "vrais complices" des Nazis, comme il l'écrit dans son article : la sinistre Gestapo française de la rue Lauriston est de nouveau au cœur de son roman suivant, Les Boulevards de ceinture.
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