dimanche 26 mars 2017

L'assassinat d'Oscar Dufrenne, un fait divers qui fascine Modiano

Septembre 1934 : le magazine Détective édité par Gallimard 
consacre sa une à l'assassinat de Dufrenne

L'affaire Dufrenne fait partie des faits divers retentissants de l'entre-deux-guerres qui ont fasciné Patrick Modiano, avec l'affaire Stavisky, l'affaire Violette Nozière et l'assassinat d'Alexandre Scouffi. L'écrivain évoque le meurtre de Dufrenne dans plusieurs textes.

Oscar Dufrenne était directeur du Palace, un des principaux music-halls parisiens de l'époque, et conseiller municipal du 10e arrondissement. Le 25 septembre 1933, il est retrouvé mort dans son bureau du Palace, rue du Faubourg-Montmartre, à moitié nu, le crâne fracassé par une queue de billard, enroulé dans un tapis. 

Qui a pu le tuer ? En raison des circonstances du drame et de l'homosexualité de Dufrenne, la police soupçonne un amant de passage, déguisé en marin, que Dufrenne aurait pu rencontrer l’été précédent, à Toulon. Un certain Paul Laborie est arrêté tardivement, en 1935. Toutefois, son procès quelques mois plus tard s'achève par un acquittement. L'affaire ne sera jamais élucidée. Comme l'écrit Modiano, depuis 1933, l'assassin de Dufrenne "court toujours"...

Dessin de Pierre Le-Tan (Memory Lane)
Ce fait divers, qui a défrayé la chronique pendant plusieurs années, les journaux se passionnant soudain pour les hommes "aux moeurs spéciales", a marqué Modiano. L'écrivain s’y réfère une première fois dans Memory Lane : orthographié Dufresne, le directeur du music-hall est présenté comme une connaissance du musicien (fictif) Georges Bellune. 

Dans la préface au Livre blanc de Jean Cocteau, ensuite, l’écrivain se dit "enchanté" par ce que Cocteau évoque : "Toulon, ses mystères, son opium, ses bains publics dont les miroirs sont truqués et surtout ses jeunes marins que les polices de France recherchaient après l’assassinat d’Oscar Dufrenne." 

Dans la pièce Poupée blonde, on peut encore déceler sa trace : il est question d’un artiste homosexuel qui aurait été assassiné par un marin dans un music-hall, lors d’une tournée. Et pour mieux plonger le lecteur dans le bain, une des fausses publicités dessinées par Pierre Le-Tan vante, dès les premières pages, l’"ambiance masculine" du cabaret Le Grand Large. Cet encart est accompagné d’un portrait de marin qui figurait déjà dans Memory Lane, avec la légende : "peut-être l’assassin d’Oscar Dufresne". 

Enfin, dans l'album Paris Tendresse, conçu à partir de photos de Brassaï, Patrick Modiano revient sur la mort de Dufrenne. Il imagine qu’il a été tué par le même homme qu'Alexandre Scouffi, et qu’ils l’avaient rencontré tous les deux au Magic-City, un dancing des années 1930 célèbre pour le bal des "invertis" qui s’y déroulait le mardi gras et à la mi-Carême.

L'affaire Dufrenne a donné lieu à la publication en 2017 d'un intéressant ouvrage de l'historienne Florence Tamagne : Le Crime du Palace. Enquête sur l’une des plus grandes affaires criminelles des années 1930 (Payot, 286 p.). L'introduction débute par une citation de Patrick Modiano. 


Couverture du livre de Florence Tamagne (2017)

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