-Dans le roman, le Paris des années soixante, époque de la décolonisation, apparaît presque aussi trouble que le Paris de l’Occupation…
-J’ai connu, adolescent, le Paris du tout début des années soixante où, dans certaines parties périphériques (Porte de Clignancourt, quartier de la Place d’Italie) et même dans certains établissements nocturnes — le Don Camillo, par exemple, proche de mon domicile —, on sentait l’atmosphère trouble de la guerre d’Algérie avec ses polices parallèles. Dans L’herbe des nuits, il y a certains échos de cette période-là, mais le Paris de ce roman est aussi un Paris intérieur et onirique.
-À plusieurs reprises, les lieux, les époques et les personnages s’entrecroisent dans l’esprit du narrateur. Est-ce à dire que nous vivons dans une forme de palimpseste?
-Peut-être est-ce surtout dans les villes que l’on a l’impression de vivre dans un immense palimpseste où rien ne disparaît jamais tout à fait, même si les rues ne sont plus tout à fait les même ou que certains quartiers ont disparu depuis trente ans. Mais il reste toujours les présences dans l’air.
-Le roman est traversé d’allusions à des livres trouvés par hasard, à des auteurs peu ou mal connus — Anthony Hope, Oser Warszawski, Tristan Corbière. Rappeler ainsi, même fugitivement, leur existence est-il une manière de dire que l’oubli n’existe pas?
-Je crois que c’est cela que je cherche à exprimer dans mes romans : traverser une couche d’oubli pour atteindre cette zone où le temps est transparent, un peu comme un avion qui traverse une couche de nuages pour atteindre le bleu du ciel.
-« Nous aurons été pour si peu de chose dans sa vie » : cette réplique est-elle un constat du vide de l’existence ou, au contraire, ce « si peu de chose » ne serait-il pas essentiel?
-Le « si peu de chose » est, en effet, essentiel dans une vie. C’est souvent par le détail le plus infime que l’on peut deviner ou même retrouver l’ensemble.
-Dans un film de Woody Allen, un personnage se demande si un souvenir est quelque chose que l’on a gardé ou quelque chose que l’on a perdu. Ici, les souvenirs du narrateur ne sont-ils pas les deux?
-Oui, les souvenirs du narrateur sont à la fois ce qu’il a gardé et ce qu’il a perdu. Je crois que c’est cette sensation que j’ai voulu exprimer : ce mélange d’oubli et de mémoire. Un peu comme le titre d’un recueil de poèmes de Paul Celan : Pavot et mémoire, le pavot étant la fleur associée au sommeil et à l’oubli.
(Interview copyright Gallimard)
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